Soldats alsaciens dans la Grande Guerre
Sur le monument aux morts du village de Guewenheim, à quelques kilomètres à l’Ouest de Mulhouse, dans le Haut-Rhin, cette inscription pudique :
« HONNEUR À NOS MORTS »
En effet, cette mention renvoie à des réalités bien différentes :
il y a les soldats alsaciens morts sous le drapeau allemand,
les soldats alsaciens morts sous le drapeau français,
et les victimes civiles.
Tous sont réunis dans un même hommage.
Le contexte
Quand la Grande Guerre débute, le 1er août 1914, l’Allemagne est la première à mobiliser, suivie de près par la France. En ces premiers jours de guerre, l’Alsace est allemande. Ceux qui y ont fait leur service militaire sont donc réquisitionnés par l’Empire allemand. Les plus malchanceux partiront dès les premiers jours de la guerre, sans se poser la question d’un choix.
Or, dès le 5 août, le gouvernement français fait promulguer une loi permettant aux Alsaciens-Lorrains de s’engager volontairement dans l’armée française. Cet engagement étant considéré du point de vue allemand comme une désertion, le soldat alsacien est souvent obligé d’opter pour une nouvelle identité, afin, au cas où il serait fait prisonnier, de ne pas être jugé coupable de trahison et puni de mort. Cela évite aussi à sa famille de subir des représailles. D’autre part, les soldats d’origine alsacienne sont envoyés loin du front, à moins de signer, à partir du 4 janvier 1915, un consentement écrit à se battre contre les Allemands.
Les traces trouvées dans les registres matricules militaires.
(à retrouver en ligne sur le site des Archives du Haut-Rhin, actuellement pour les classes de 1893 à 1921.)
Puisque l’Alsace est redevenue française, le gouvernement français a mis en place ces registres après la guerre. Il faut établir le statut militaire des hommes présents sur le territoire et encore en âge d’être mobilisés. Il ne prend donc en compte que les survivants.
Mis à part les Alsaciens qui se trouvaient déjà sur le territoire français lors de la déclaration de guerre, trois cas se distinguent:
-
Les Alsaciens qui n’ont pas fait la guerre.
-
Les soldats alsaciens qui ont fait toute la guerre dans l’armée allemande.
- Les Alsaciens qui ont réussi à gagner la zone française.
Ceux qui étaient trop âgés, chargés de famille, handicapés, etc. et n’ont pas été recrutés ont la mention « N’a pas servi dans l’armée allemande ». Ils ne sont généralement plus mobilisables.
Ils ont souvent servi du 1er au dernier jour de la guerre.
Ils ont la mention « a servi dans l’armée allemande » et le plus souvent le tampon suivant:
Quand ils sont encore mobilisables, ils reçoivent une nouvelle affectation :
Au début du mois d’août, certains ont réussi à rallier Mulhouse dès sa prise par les Français, plus souvent Belfort ou Besançon, pour s’engager volontairement dans l’armée française. Certains ont déserté l’armée allemande au cours de la guerre.
On remarque sur cette fiche le « nom de guerre » : Luigi Bellardi.
Leur parcours est souvent dans les territoires d’Outre-Mer ( ici : Côte d’Ivoire, Tunisie, Maroc en tant que zouave dans la Légion étrangère). Comme la loi les y autorise, ils réclament ensuite la nationalité française. Puis, à leur démobilisation, ils se retirent en Alsace.
Ceci leur vaudra plus tard la reconnaissance de la patrie française : la Médaille des Évadés, créée le 20 août 1926, ainsi que, plus tard, éventuellement, la Croix du Combattant Volontaire.
(Il est à noter que cette personne a aussi fait partie des FFI, section de Mulhouse, pendant la 2nde Guerre Mondiale.)
Quelques situations particulières
- Le landsturm
- Les expatriés
Afin d’éviter que les Alsaciens en état de servir dans l’armée allemande rejoignent ses rangs de gré ou de force, les autorités françaises décident de les « exfiltrer » d’Alsace vers le territoire français. Ils sont alors le plus souvent regroupés dans des camps spéciaux. Suivant leur statut « pro-français » plus ou moins affirmé, leur statut est allégé au cours de la guerre. Ils peuvent ainsi sortir des camps pour aller travailler, voire même intégrer un statut « normal » d’ouvrier. Certains intégrent l’armée française. Leur présence et parfois leur assimilation à des Allemands à cause de leur dialecte a pu être mal appréciée des populations qui les hébergeaient. Suivant les divers cas, cette épreuve a été plus ou moins bien acceptée.
Le frère de mon arrière-grand-mère, Léonard Ringenbach, quant à lui, a choisi une option particulière.
De la classe 1902, il a fait son service militaire dans la Marine allemande, à Wilhemshaven.
J’ai retrouvé son carnet militaire, accompagné des instructions en cas de déclaration de guerre
Sentant probablement le vent tourner, il a décidé, à la fin de l’année 1913, d’émigrer « en Amérique ». Pour cela, il a dû demander une dispense de présentation à sa période de renouvellement de son service pour deux ans pour cause de « congé ». Cette dispense lui a été accordée, mais il est spécifié qu’en cas de mobilisation, il doit impérativement rejoindre son affectation militaire. Il s’en est bien gardé, évidemment…
Sa carte d’enregistrement établie aux États-Unis le 12 septembre 1918 nous informe qu’il était « ressortissant d’Alsace-Lorraine » et dans ce cas « réclamé par l’Allemagne ». Il n’est cependant jamais parti, les États-Unis n’auraient pas envoyé des troupes aux Allemands !
Sur mon arbre généalogique figurent deux soldats alsaciens
Nés à Guewenheim, décédés au cours de la Première Guerre Mondiale, leur nom figure sur le monument aux morts de Guewenheim.
Aloys Arnitz, (1882-1914), cousin de mon arrière-grand père, est décédé dans les rangs de l’armée allemande.
Dès les premiers jours de guerre, le 21 août 1914, il est tombé dans le secteur de Schirmerck (Bas-Rhin).
Il était « Wehrmann », simple soldat, de la 9e Cie, IIIe Bataillon de la réserve d’infanterie, Régiment n°110 (Rastatt, Karlsruhe, Mannheim).
Ses restes reposent au cimetière militaire allemand de La Broque (Bas-Rhin).
Sur sa fiche retrouvée sur le site MemorialGenWeb, en regard de la rubrique « Mention Mort pour la France » est inscrit : « Mention non applicable ».
Joseph Schmitt (1886-1918) est Mort pour la France.
Le 31 juillet 1914, dernier jour de « paix », Joseph Schmitt se marie à Rougegoutte, (actuellement dans le Territoire de Belfort, à l’époque encore dans le Haut-Rhin mais en territoire français). Il y réside quand il s’engage dans l’armée française, probablement en 1915 d’après sa fiche retrouvée sur le site « Mémoire des Hommes ».
Incorporé à Besançon, sa dernière affectation connue est le 16e Régiment d’Infanterie Coloniale (Chine, Cochinchine, Tonkin) où il est soldat de 2nde classe. Il est envoyé en Chine puis, en 1918, il est choisi pour faire partie des « marsouins » qui formeront le Bataillon Colonial Sibérien chargé de lutter contre les Bolcheviks en Sibérie au côté des Tchèques. Ce Bataillon est d’ailleurs constitué de zouaves Alsaciens-Lorrains.
Sur sa fiche, il est indiqué que le 31 octobre 1918, il a été « tué par une explosion d’un convoi de munitions qu’il escortait ».
Toujours sur le site de Mémoires des Hommes, à la section « Journaux des marches et opérations des corps de troupe », Bataillon Coloniaux, Bataillon Colonial Sibérien, J.M.O. 13 juillet 1918-10 mars 1920, cote 26N 868/13, p32, on trouve l’information suivante :
« Irkoutsk, 2nov. – Arrivée à 14 heures. – Le Commandant apprend que le train tchèque de munitions escorté par la demi-section de zouaves (Lt.Braunstein) a sauté par suite d’un accident à Biélaia (74 verst à l’Ouest d’Irkoutsk). Le caporal et deux hommes de l’escorte ont été tués et le lieutenant et deux hommes ont été blessés. Le train qui comprenait 40 wagons a été détruit, 5 wagons seulement ont pu être sauvés. L’accident ne semble pas être dû à la malveillance, mais à la négligence du personnel des chemins de fer russe. »
« 3 nov. 15 heures, enterrement du zouave Schmitt dont les restes ont pu être en partie retrouvés. »
Pour approfondir le sujet, je vous propose quelques lectures :
L’engagement des Alsaciens-Lorrains dans l’armée française pendant la Grande Guerre, sur le site de l’Association historique de Kalhausen.
Le Landsturm, Patrimoine Doller, 1995.
La Bataille du Donon, bataille près de Schirmeck du 14 au 21 août 1914. Il est très probable que Aloys Arnitz soit décédé lors de ces combats.
Le Bataillon Colonial Français de Sibérie, extraits de la thèse du colonel Boulié, lieutenant au 16° R.I.C. en 1918 et de la causerie-débat de M. Borde, marsouin au 9° R.I.Ma. en 1961.
(la liste des victimes de guerre allemandes est disponible avec un abonnement payant à Ancestry :
Germany, World War I Casualty Lists, 1914-1917, Verlust-Liste Nr. 0020-0060 (11 Sep 1914 – 29 Sep 1914) > Verlust-Liste Nr. 0050 (26 Sep 1914))
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