George Reichard, soldat canadien dans la Grande Guerre
Le 27 septembre 1918, George Reichard
soldat du 47e Bataillon de la 4e Division Canadienne
est « killed in action », tué instantanément par des schrapnels,
le matin de l’offensive dite « du Bois de Bourlon » (Pas-de-Calais), près de Cambrai (Nord), en France.
L’engagement du Canada dans la guerre de 1914-1918
Dès le 4 août 1914, jour de la déclaration de guerre du Royaume Uni à l’Empire allemand, le Canada est légalement en guerre. Le pays est un «dominion» auto-géré de l’Empire Britannique mais ne contrôle pas ses affaires étrangères. Si l’entrée en guerre n’est pratiquement pas remise en question à cette date-là, la taille et la nature de l’engagement sont vigoureusement débattues, ainsi que les relations avec la Grande-Bretagne.
Le Canada ne dispose pas d’une grosse armée, jusqu’à ce jour seules des milices de volontaires ont une activité régulière, principalement de surveillance des frontières. Ainsi les Canadiens doivent être motivés pour participer à cette guerre. Une grande campagne de propagande est organisée, vite relayée par l’opinion publique. Les « Canadiens » se précipitent alors pour s’engager pour raisons de patriotisme, de goût de l’aventure, pour s’opposer à l’agression germanique ou pour des liens particuliers avec la Grande-Bretagne. D’autre part, il était courant dans beaucoup d’endroits du pays de penser que ceux qui ne s’engageait pas étaient des couards, remettant en cause aussi leur loyauté au pays. De fait, peu d’engagés sont réellement de nationalité canadienne : ceux qui se sentent le plus concernés sont ceux nés sur le sol britannique.
Devant la rigueur et la longueur de la guerre l’enthousiasme faiblit et il faut, à la fin de 1916, après de longs débats, recourir à la conscription obligatoire.
Le parcours du soldat George Reichard
George Reichard, est né en 1878 à Wellesley, Région de Waterloo dans l’Ontario.
Il a 36 ans en 1914 et vit chez ses parents à Hensall dans le Comté du Huron, un peu plus à l’Ouest, toujours en Ontario. Il est ouvrier de filature. Sur son dossier militaire, il est indiqué qu’il mesure 1 mètre 80 et que sa forme physique est «excellente». Il a régulièrement servi l’été (treize en tout) dans la milice dans le 33e Bataillon d’Infanterie du Huron. Il est « Canadien ».
Donc, George Reichard se porte volontaire le 6 avril 1916 pour servir dans le 161e Bataillon du Huron en tant que simple soldat de la « Canadian Overseas Expeditionary Force ».
Il commence son entraînement au Canada jusqu’au 6 novembre. Il établit alors son testament et s’embarque depuis Halifax pour Liverpool où il arrive le 11 et rejoint le Camp de Witley, dans le Surrey, où il perfectionne son entraînement pendant quinze mois avant d’être transféré au Camp de Bramshott dans le Comté d’Hampshire en mars 1918. Il est alors intégré dans le 47e Bataillon d’Infanterie Canadienne (Régiment d’Ontario Occidental), 4e Division des Forces Canadiennes.
Fin mars 1918, George Reichard est envoyé sur le territoire français en renfort des Forces Canadiennes, sans précision de lieu : la réalité des forces alliées devait être gardée secrète en vue d’une offensive déterminante, connue depuis sous le nom des « Cent Jours du Canada ».
Enfin le 6 août il est envoyé au front : c’est d’abord la Bataille d’Amiens (11 800 victimes canadiennes).
Après la prise d’Amiens le 8 août, les commandements alliés s’accordent sur une offensive multi-armées sur le front de l’Ouest contre les forces allemandes qui, pour la première fois dans la guerre semblent vulnérables.
Les Canadiens sont en première ligne de l’attaque menée par la Première Armée Britannique sur le front d’Arras, sur la ligne Drocourt-Quéant et commencent leurs opérations le 26 août. Le bombardement initial fait exploser les positions allemandes mais est suivi d’une intense bataille longue d’une semaine, faisant plus de 11 000 victimes canadiennes. Les troupes canadiennes percent la ligne très fortifiée de Drocourt-Quéant le 2 septembre.
Après presque un mois de préparations et de plannification, le Canadian Corps se lance alors dans une opération très risquée dont l’objectif est de reprendre la position stratégique de défense allemande connue sous le nom de « Ligne Hindenburg », par le Bois de Bourlon situé sur la ligne de crête à l’ouest de Cambrai, non loin du canal du Nord, de l’Escaut canalisé – deux objectifs cruciaux pour le contrôle des importants axes routiers et ferroviaires de Cambrai.
Cette opération, commencée le 27 septembre au matin, se termine le 9 octobre suivant par la reprise de Cambrai.
C’est là que le soldat Reichard est atteint par des schrapnels mortels.
A 2 heures de l’après midi, les Canadiens atteignent l’objectif de la reprise du Bois de Bourlon. Les divisions canadiennes et anglaises repoussent ensuite les Allemands de la tranchée de Marcoing. La victoire est acquise à 8 heures du soir, quand la dernière poche de résistance est vaincue.
Les Batailles d’Arras et du Canal du Nord ont fait environ 30 000 victimes canadiennes, mais ont aidé à briser les dernières positions défensives de l’armée germanique. Après la traversée du Canal du Nord par les toupes canadiennes et les autres troupes alliées, les forces allemandes sont complètement engagées dans la retraite. La fin de la guerre est proche. Musée Canadien de la Guerre, Le Canada et la Première Guerre Mondiale Vous pouvez regarder les documentaires suivants sur le site de l’Office National du Film du Canada : Entre les lignes, la vie du soldat (9 minutes) ou Entre les lignes, film de Claude Guilmain (33 minutes)
Sources principales :
Bibliothèque et Archives Canada, Première Guerre Mondiale
et particulièrement : La Bataille du Canal-du-Nord et de Cambrai et le dossier militaire personnel du soldat George Reichard.
L’engagement de George Reichard : une affaire de famille ?
Ignace Arnitz, sa femme Barbara (née Koegler) et leur deux premières filles s’embarquent pour la grande aventure de l’émigration en Amérique entre 1852 et 1854.
Ils quittent Burnhaupt-le-Haut, dans le Haut-Rhin (France) et au vu des événements ultérieurs, on serait tenté de dire que leur émigration était peut-être une bonne idée : ils sont partis avant l’épidémie de choléra de 1855, ils ont échappé à la guerre de 1870, à l’occupation allemande (encore que… j’y reviendrai), aux premiers jours de la guerre en 1914, lorsque Burnhaupt s’est retrouvé sur la ligne de front, presque entièrement détruite, et ses habitants évacués sur Mulhouse…
Leur destination est le Canada et plus précisément la Région de Waterloo dans l’Ontario, entre le lac Erié, le lac Ontario et le lac Huron, non loin des chutes du Niagara. A cette époque, cette région ressemble assez à leur région d’origine : vallonnée et boisée, à dominante agricole.
Je n’ai pas retrouvé trace de leur passage sur un bateau pour les Etats-Unis et s’ils sont arrivés directement au Canada, les listes de passagers d’avant 1865 sont peu nombreuses dans les archives. La date exacte de leur voyage est donc pour le moment inconnue. (Ils ont peut-être cependant rempli une demande en France, à rechercher). On peut cependant cerner cette date entre deux accouchements : le trajet est long pour traverser l’Atlantique, puis en chariot (ont-ils déjà profité des premiers trains ?) de la côte atlantique à l’Ontario. Or leur fille Joséphine est née pour Noël 1851 et Barbara a accouché de sa troisième fille, Mary Ann, au mois d’août 1854 à Saint Agatha dans la région de Waterloo. Il faut espérer qu’elle n’a pas fait le voyage enceinte de plus de six mois. Ou alors qu’elle a débarqué en hiver mais trouvé un endroit confortable pour attendre le dégel.
Ils y ont déjà de la famille et des voisins : la tante de Barbara, Marguerite y est arrivée au début des années 1830. Même si elle déjà décédée en 1852, Barbara a de très nombreux cousins et cousines ! Leurs voisins Pierre et Thiébaud Kuenemann, maçons de Mortzwiller y sont depuis 1840 ; les tuiliers Ignace Ditner et Xavier Schueler y sont depuis à peu près la même époque. Leur départ a dû faire du bruit dans le pays. Peut-être ont-ils fait savoir à Ignace qu’il pouvait y avoir du travail pour lui dans la région ? Elle est en pleine expansion et il y faut de la main d’oeuvre pour construire villes et villages. Alors, de tuilier Ignace devint aussi briquetier (ce qui est une variante logique de la profession, à l’époque).
Un autre avantage de la région de Waterloo en 1854 est que la population est majoritairement germanophone : des mennonites venus de Pennsylvanie parlent un dialecte compris par les Allemands venus directement d’Allemagne et les Alsaciens se fondent probablement bien dans le décor, même s’ils sont très minoritaires. La ville principale est Berlin.
La belle entente se dégrade en 1870 quand les Allemands s’emparent de l’Alsace. En 1871 se tient la «Friedenfest», «Fête de la paix», pour célébrer la victoire de la Prusse sur l’Allemagne. Plus de 10 000 Allemands y participent. Pendant les deux décennies suivantes, les Allemands de première et de deuxième génération restent très attachés à leurs racines, même s’ils disent se sentir de plus en plus britanniques. En 1914, l’animosité envers les Allemands se cristallise : le buste de l’Empereur Guillaume Ier est jeté dans le lac du Parc Victoria à Berlin. L’attachement au Canada est questionné. Le nom même de la ville est remis en question. Après un vote populaire en juin 1916, la ville est renommée Kitchener. Le sentiment anti-allemand est présent dans tout le pays, les noms de rue changés, des camps d’internements créés pour les «ennemis étrangers» (plus de 8 000 germanophone y ont été internés au cours de la guerre).
Les cinq filles Arnitz restent cependant dans les environs de Waterloo jusque dans les années 1890. La génération suivante partira pour les Etats-Unis.
Une exception : Mary-Ann, le première « Canadienne » de la famille épouse en 1875 Adam Reichart. Adam est né en Allemagne, dans le grand duché de Hesse en 1853. Il est arrivé au Canada encore bébé. On ne trouve pas trace de ses parents (Conrad et Elisabeth) dans les registres : ils sont probablement décédés avant 1875. Le couple s’éloigne de la région en 1879, se dirigeant vers l’Ouest et le lac Huron. Lucan, Hay, ils finissent par s’établir à Hensall (maintenant partie de la communauté de communes de Bluewater). Ils restent probablement en contact avec les parents de Mary-Ann, qui parlent encore de l’Alsace – en alsacien.
Les grands-parents décèdent en 1897, à un mois d’intervalle.
George Reichart, deuxième fils de Mary-Ann et d’Adam est né en 1878. Il a donc connu ses grands-parents alsaciens presque jusqu’à ses vingt ans. Il ne semble avoir pas connu ses grands-parents allemands.
Son nom est souvent changé en Reichard sur les papiers officiels, parfois même en Richard, accentuant son caractère « Canadien », britannique – de la deuxième génération déjà de part sa mère.
Même s’il hésite un an et demi après le début de la guerre pour s’engager, de nombreux facteurs semblent réunis pour qu’il se décide :
– il est célibataire ;
– d’origine alsacienne entretenue longtemps par ses grands-parents, il a peut-être à coeur d’aider à chasser les Allemands hors de l’Alsace ;
– ses origines allemandes sont mal acceptées (ses parents se sont éloignés du coeur de la région germanophone pour se retrouver en territoire plus anglophone, neutre pour le couple ; son père n’a pas de famille pour lui rappeler ses origines) ;
– et puis il doit, à cause de ces origines prouver son attachement à sa patrie de naissance.
Les motivations patriotiques et sentimentales tant mises en avant dans la propagande pour la conscription volontaire sont là bien présentes.
Il est certain que George Reichart a combattu pour le Canada et la Grande-Bretagne. Mais n’a-t-il pas aussi combattu pour la France ? Ne mériterait-il pas une mention «Mort pour la France» ? ou tout du moins «pour l’Alsace française»?
Il est resté sur le sol français
Le soldat George Reichard a été inhumé au Quarry Wood Cemetery, cimetière militaire canadien de Sains-les Marquions, commune limitrophe de Bourlon dans le Pas-de-Calais. Ce cimetière de plus d’un hectare comprend plus de 278 sépultures.
A l’Ouest du Bois de Bourlon se dresse un monument canadien honorant la mémoire des soldats qui y sont morts; il jouxte un cimetière militaire britannique.
George Reichard a reçu la « British War Medal » à titre posthume.
Son neveu Aaron Knechtel a lui aussi combattu pendant les derniers mois de cette guerre, engagé avec l’armée américaine. Il en est revenu sans blessure (physique).
merci à Mary, ma cousine de l’Illinois sans l’aide de qui cet article n’aurait pu se faire…
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